Comme un bijou oublié dans le fond d’un tiroir,
trouver la jolie cité de Groznjan nécessite de fouiller un peu.
Et c’est dans l’arrière-pays de la côte croate, au nord de la péninsule triangulaire de l’Istrie,
à l’ouest du pays, que ce village d’artistes a poussé en haut d’une colline,
au milieu des vignes, des oliviers, et du chant des cigales.
Un phénix sur son perchoir
Nous avions coché Groznjan sur sur notre carnet de route, pour son passé médiéval, son charme annoncé, sa douceur de vivre. Mais nous ne savions pas tout. Nous ne connaissions pas encore son histoire récente, ses souffrances, son agonie, et sa renaissance inespérée que des artistes en tout genre ont su susciter.
Pays : Croatie (Istrie)
Commune : Groznjan
Parking : Grande aire de stationnement
au nord du village (payante).
Coordonnées GPS : 45.38134, 13.72373
Un des (vrais) beaux villages de l’Istrie
Après Motovun et Rovinj, Groznjan était la dernière cité pittoresque inscrite sur notre (courte) liste de villages istriens à visiter. Et si parfois la déception peut être au rendez-vous de ces « incontournables » touristiques qui s’avèrent en fin de compte tout à fait contournables, il n’en est rien ici.
A Groznjan (prononcez « Grosse Nianne »), on ne se moque pas du pèlerin de passage (à moins que vous ne soyez la seule Nianne née en France depuis 1890, ce qui ne serait vraiment pas de chance) : ici, c’est l’Italie qui fleurit à l’ombre des vieilles pierres, c’est un air de jazz qui se faufile entre les murs, c’est l’odeur d’une pizza Margherita qui s’échappe d’une fenêtre, ce sont des cigales qui chantent sur la place du village, c’est un banc vide qui attend avec impatience son prochain flâneur émerveillé, ce sont des branches parfumées accrochées aux façades qui s’agitent sous le vent, ce sont des bateaux rouillés miniatures en cale sèche devant l’église… Et tant d’autres choses encore.
Là haut sur la colline
Contrairement à l’imposante Rovinj qui farniente un peu plus bas en bord de mer, le petit village de Groznjan trône à 288m sur une butte verdoyante aux allures campagnardes.
Rovinj et Groznjan ne jouent donc pas vraiment dans la même catégorie. C’est un peu le grand costaud des eaux salées contre le gringalet balayé par les vents. Gros bateaux et lunettes noires d’un côté, chapeau de paille et sandales légères de l’autre. Et sur la balance, l’aiguille s’affole un peu : 13 400 habitants d’un côté, 185 de l’autre. Un combat que l’on pourrait croire déséquilibré, mais il n’en est rien : Groznjan, loin du chic du bord de mer et de ses yatchs de milliardaires, respire la vie simple, les échanges chaleureux, le bonheur au grand air.
Depuis ses terrasses ou son chemin de ronde, le village offre des vues imprenables. Une évasion sans limite pour le plus grand bonheur des âmes voyageuses. Le regard embrasse là de larges paysages (toujours très affectueux le regard dans ces cas-là) où il découvre d’autres cités anciennes voguant au loin sur les vagues vertes des vignobles et des oliveraies de la région (une vingtaine sont visibles, comme Motovun par exemple), ou se perd ailleurs avec envie sur l’horizon bleu azur du littoral.
Entre les vagues, se devine aussi la vallée de la Mirna où coule paisiblement le fleuve du même nom (« mirna » signifie « calme » en croate). Un petit fleuve de 53km certes, mais un fleuve quand même puisqu’il se jette directement dans la mer adriatique du côté de Novigrad.
La légende raconte que la région était autrefois habitée par des géants, et que le plus solide d’entre eux entreprit un jour de labourer l’Istrie à coups de boeufs et de charrues. Mais pas des petits bovidés du salon de l’agriculture ou des charrues de la brocante du coin. Non, non, Monsieur le géant avait des besoins XXL et quand il faisait un sillon dans la terre ça ne passait pas inaperçu. La preuve en est que des millénaires plus tard on les voit toujours. Celui de Mirna fait partie de ses travaux d’Hercule de l’époque. Et comme ce laboureur grand format était un romantique, il donna à cette vallée créée à la sueur de son front le doux nom de sa femme : Mirna. Aah l’amour…
Avec son passé médiéval, ses fortifications, ses pavés, ses petites ruelles, ses milles et un détails semés aux quatre coins des rues, Groznjan est un village à fort caractère, possédant un indéniable cachet. Il y a ici une âme qui vit entre les pierres. Et si vous tendez un peu l’oreille, vous entendrez probablement son souffle…
L’influence italienne
Depuis longtemps, la belle cité est sous l’emprise d’une influenceuse particulièrement célèbre, une reine de la fascination sans limite qui a marqué l’histoire de l’Europe et même au-delà : l’Italie. Il en est imprégné au plus profond de sa chair, dans son passé, sa culture, sa manière de vivre, sa gastronomie, dans ses placettes, ses passages voûtés, ses boutiques colorées, ses palabres animées entre habitants. Et le village lui-même, dans son architecture générale, sa position dominante, ses maisons aux tuiles rouges regroupées près de l’église, rappelle immanquablement l’Italie voisine et ses innombrables villages perchés.
Même son nom, il le doit à des italiens. Ou plus précisément aux romains, à l’époque où toute la grande Europe était sous leur contrôle. « Groznjan » a en effet pour origine le mot latin « Grisium » qui signifie « colline de pierre », transformé plus tard en « Grisignana », l’ancien nom du village.
Ici d’ailleurs, tout le monde est bilingue. On discute aussi bien en croate qu’en italien, et quand on est en désaccord, il y a autant de mots dans une langue que dans l’autre pour le faire savoir avec éloquence. Il y en a moins pour exprimer son approbation. Ce sont plutôt les gestes qui s’en occupent : un hochement de tête, un sourire, une tape sur l’épaule, une embrassade. Comme dans tous les pays du monde on parle cette langue ici, la plus belle de toutes.
L’influence de l’Italie est même si présente encore aujourd’hui à Groznjan qu’il y a plus d’habitants de nationalité italienne que croate. 50% pour les premiers contre 25% pour les seconds selon le recensement de 2011. C’est ce qui s’appelle une petite raclée. Il en manque quand même 25% encore remarqueront les plus taquins ou les plus matheux. Oui, des étrangers venus de tous les horizons, attirés par le charme des lieux et par la douceur du climat. La vie au soleil de la campagne, avec la mer pour se rafraichir à 25km de là, si c’est pas le paradis çà…
L’art dare-dare
Mais Groznjan, c’est aussi et peut être surtout LA cité des arts. On dénombre ici pas moins de 35 ateliers de peinture, de sculpture, de danse, de musique ou de théâtre. Et l’été venu, c’est une succession presque ininterrompue de concerts de musique classique, de rock ou de jazz qui envahit les espaces publics, pour le plus grand bonheur des touristes ou des locaux qui viennent en nombre profiter des animations du moment.
Nous avons d’ailleurs eu la chance de pouvoir assister à l’une de ces belles soirées musicales lors de notre passage. Elle n’était pas vraiment prévue au programme, nous devions plutôt repartir de Groznjan pour éviter de passer la nuit sur son parking payant. Mais nous avions croisé un peu plus tôt un groupe de musiciens qui se préparaient sur une des places du village, l’ambiance s’annonçait douce en ce beau jour de juillet, difficile de résister à l’appel de la fête quand elle vient nous chercher.
Et c’est donc au rythme des pianos, des guitares, de la foule qui danse, des bières qui trinquent, entre musiques et chansons en tout genre, femmes coquettes, italiens séducteurs, éclats de rire, échanges croato-italiano-slovenio-anglo-français que nous avons passé notre fin de journée à Groznjan, pour finir attablés à l’agréable café-restaurant aModoMio (« A ma manière » en italien).
Mais comment donc ce petit village, isolé dans la campagne croate, en est arrivé à devenir un haut-lieu des arts en tout genre ? Pour le comprendre, il faut se pencher un instant sur les heures sombres de son passé (si vous êtes sujet au lumbago, nous vous conseillons toutefois de sauter ce chapitre et de passer au suivant).
De guerres en paix
Pendant la seconde guerre mondiale, l’Italie et l’ex-Yougolavie sont en conflit. L’enjeu du combat concerne les terres que la première avait reprise à la seconde pendant la première guerre mondiale. Dès la capitulation de l’Italie fasciste en 1943 puis celle de l’Allemagne en 1945, l’ex-Yougoslavie du général Tito reprend possession des terres qu’elle revendiquait. Mais non sans atrocités. Comme l’avaient fait les fascistes italiens avec les slaves lors de la première guerre mondiale, Tito et ses partisans décident à leur tour de purifier les lieux en supprimant en masse les opposants italiens encore présents sur les territoires reconquis. Pour y parvenir, ils jettent morts ou vivants des milliers de personnes dans les « foibe », des cavités naturelles verticales karstiques qui parsèment la campagne istrienne. Une tragédie longtemps passée sous silence, qui fait aujourd’hui l’objet d’une journée du souvenir en Italie, le 10 février de chaque année.
En 1960, Groznjan se retrouve ainsi en grande partie à l’abandon, la majorité de sa population ayant été décimée par la guerre ou ayant trouvé refuge chez son voisin italien. Les autorités en place ont alors la bonne idée de céder les maisons inhabitées du village à des artistes pour les repeupler et leurs redonner vie. Pari risqué, mais pari réussi. Le phénix n’était pas mort, et il est même aujourd’hui particulièrement vivant.
Au coeur du village
Hors du temps
Marcher dans Groznjan, c’est s’offrir un moment suspendu dans le temps. Le village a beau avoir énormément souffert il n’y a pas si longtemps, il a su garder ou retrouver toute son authenticité malgré tout. Les boutiques et commerces en tout genre sont venus animés les rues depuis quelques décennies, mais derrière les comptoirs rien n’a vraiment changé. Le temps a oublié de faire son œuvre ici (les galeries d’art du village en sont pleines après tout, une de plus, une de moins…), et c’est très bien ainsi.
Village touristique certes, mais pas pour autant noyé par le monde. S’y balader reste particulièrement agréable. On déambule avec nonchalance dans son petit labyrinthe de rues et de ruelles, porté par des parfums de fleurs ou quelques airs de musique, et on se laisse charmer par toute cette vie qui va et vient au milieu de ces vielles pierres burinées par les siècles.
Mais le plaisir de la découverte a aussi une autre raison : le village n’est pas accessible aux voitures. Le stationnement des véhicules doit se faire au parking situé au nord du site. Et ça, ça change tout. Arpenter ces rues pavées et se faufiler entre ces maisons d’un autre âge, sans le bruit d’un moteur, avec pour seuls compagnons sonores quelques discussions humaines ici ou là, des miaulements sortis de nulle part ou encore des notes musicales lointaines, est un luxe qu’on apprécie à sa juste valeur. Les sons d’aujourd’hui sont en harmonie avec les pierres d’autrefois, il n’y a pas d’anachronisme entre eux, tout nous ramène a des temps plus anciens et nous permet ainsi de mieux nous en imprégner.
De l’histoire en douceur
Pour pleinement goûter aux saveurs de Groznjan, il faut que le pas soit lent, les sens aux abois, l’oeil contemplatif, le coeur grand ouvert. Parce que tout est fait ici pour que l’histoire et la douceur de vivre qui habitent les lieux viennent envoûter le passant.
L’histoire ne tarde pas d’ailleurs à nous accompagner. Dès la sortie du parking au nord du village, la chapelle isolée de Holy Ghost (le « fantôme sacré », brrrr…), et l’église Saint-Nicolas située un peu plus loin en bordure du cimetière, nous mettent déjà un peu dans l’ambiance.
Quelques centaines de mètres plus bas, c’est la confirmation : un beau plan d’informations en couleurs présente les principaux bâtiments historiques de la cité, avant même d’entrer dans son enceinte.
Si toutefois vous êtes un épicurien et que seule la localisation des bars et des restaurants du village vous intéresse (ce qui est parfois aussi notre préoccupation première), vous n’êtes pas au bon endroit. Prenez plutôt la rue sur votre gauche et vous trouverez votre bonheur peu après. Il s’appelle Mama maria. Un bar-resto au look moderne assumé qui offre une vue magnifique sur la campagne istrienne.
Pour les autres, il y a de quoi ici satisfaire les amoureux des temps moyenâgeux : palais du Podestat (nom donné autrefois en Italie au 1er magistrat de la ville), église Saint-Guy et Modesto, loge vénitienne avec arcades (une belle vieille dame), ancienne porte de la ville (dotée d’un pont-levis autrefois), église Saint-Côme et Damien, vieilles maisons remarquables… l’immersion dans le 15e ou 16e siècle est assurée, et quand on déambule dans ce petit village chargé d’histoire, on est presque étonnés de ne pas tomber au détour d’une rue sur un duel de cape et d’épée.
La « dolce vita » n’est pas en reste non plus, et vient rapidement nous enlacer (ceux qui sont déjà partis retrouver les bras de Mama maria en savent quelque chose).
Dès que l’on entre dans le village, surtout par une belle journée ensoleillée d’été, un sentiment de bien-être vous envahit rapidement. Et tout est là ensuite pour vous maintenir dans cet état de semi-abandon délicieux le temps de la visite : une esplanade magnifique en guise de mise en bouche, des bancs à n’en plus finir à l’ombre des maisons joliment accolées, des chaises, des terrasses de cafés, des restaurants, des petites places, des façades décorées de bibelots ou de tableaux, des volets peints, des vélos anciens, des arbres en pots, des branches feuillues qui serpentent sur les murs, une balade le long des remparts, des vues panoramiques, des rires, des gens assis sur le seuil de leur porte profitant de la quiétude d’un instant, des grillons du soir… n’en jetez plus, nous sommes repus. « C’est où déjà le bar le plus proche pour siroter une petite menthe à l’eau ?… »
INFORMATIONS PRATIQUES
VENIR EN SAC A DOS :
Depuis les principales villes de l’Istrie, ou même depuis la capitale Zagreb, Groznjan est accessible en bus, de façon plus ou moins directe selon la compagnie et l’horaire choisi.
Contrairement à ce réseau de bus qui est bien développé en Croatie, le transport en train est lui beaucoup plus restreint. Et il n’est en l’occurrence d’aucune utilité pour espérer s’approcher de Groznjan.
DORMIR / MANGER / BOIRE :
Malgré son importance très modeste, le centre de Groznjan propose plusieurs solutions de bars, restaurants ou hébergements. Le site de la Mairie en liste quelques unes.
En complément, des offres d’hébergement existent à proximité du village pour ceux qui préfèrent l’ambiance de la campagne à celle des villages.
En dehors des solutions de restauration classique (restaurant, bar), il n’existe pas d’épicerie générale, de boucherie ou de boulangerie au village. Seule une épicerie fine « Zigante tartufi » (face à la loggia vénitienne) propose quelques possibilités de ravitaillement.
Et si vous avez besoin d’un peu d’argent frais pour pouvoir savourer une bière ou un repas local depuis les magnifiques terrasses des commerces de Groznjan, un distributeur (Erste Bank) est à votre disposition à l’arrière de l’église.
Lors de notre passage, nous n’avons testé que la pizzéria « aModoMio« , qui jouxte le café-bar « Vero » autour d’une charmante petite place. Tous deux semblent gérés par un même propriétaire (les serveurs vont de l’un à l’autre sans arrêt). Un repas correct, servi rapidement (malgré le monde), et avec amabilité. Le must reste toutefois d’arriver à avoir une table en terrasse, avec vue sur la campagne. Mais les places sont rares, la réservation est fortement conseillée.
Pour les campeurs, les possibilité de campement les plus proches sont à Novigrad, à 25mn en voiture de Groznjan.
RANDONNER :
Plusieurs sentiers de randonnée passent par Groznjan, certains en boucle, d’autres en itinérance comme le chemin de randonnée européen E12 qui part d’Espagne et finit dans les balkans (mais vous n’êtes pas obligés pour autant de partir à pied de la péninsule ibérique pour venir jusqu’ici :-).
Pour tout renseignement, le petit office du tourisme du village est à la disposition du randonneur.
STATIONNEMENT :
Un grand parking payant situé à l’entrée nord du village assure les besoins de stationnement (centre bourg à 300m).
Tarifs : 1€/heure entre 8h et 22h – 13€ pour 24h – 0,70€ pour l’usage des toilettes (propres et récentes)
Nous avons passé une nuit là au mois de juillet, très tranquille.
(Cette visite de Groznjan s’est faite en juillet 2022)
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