Malgré les sièges, les révoltes, la guerre, la dictature,
malgré les haines du passé, Shkodër la résistante est aujourd’hui
un exemple de mixité religieuse et culturelle réussie.
Avant de partir
Notre traversée de l’Albanie se terminait lorsque Shkodër s’est profilée à l’horizon. Plus de deux semaines maintenant que nous vivions dans ce pays si séduisant, et à vrai dire nous n’attendions pas grand chose de cette ville importante (pas loin de 140 000 habitants).
Mais Shkodër nous a surpris. Nous y sommes entrés avec un enthousiasme mesuré (une règle de 20cm a suffi), nous en sommes ressortis conquis par son charme (et là, même un décamètre aurait été trop court).
Ici, tout le monde gagne
Shkodër se découvre en premier ou en dernier : soit c’est la première grande ville de l’Albanie que l’on croise si l’on vient du Monténégro (au Nord), soit c’est la dernière si l’on sort de l’Albanie. Pas de souci : il n’y a aucun gagnant ou perdant à ce jeu là. C’est juste une histoire de sens de parcours. « Les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers » a dit Jésus. Passer à Shkodër, c’est donc suivre les traces du Christ, ce n’est quand même pas rien ! (on essaiera de vous concocter une petite trace GPX de son parcours à l’occasion, mais attention la randonnée risque d’être longue et mouvementée…)
Au secours !
Une longue absence
Nos premiers pas dans la ville, l’une des plus vieilles d’Albanie, commencent de façon un peu particulière.
Nous nous arrêtons dans un café le long d’une grande avenue.
Pendant que Fanny boit son cappuccino tranquillement en terrasse, Eric file aux toilettes. Plongée dans ses pensées, elle ne voit pas le temps passer et ne réalise pas vraiment que la pause pipi s’éternise anormalement. Elle entend bien la patronne appeler le serveur à l’aide mais n’y prête pas attention. Son esprit est ailleurs, il fait bon, le printemps bat des ailes dans les feuillages de la rue, l’ambiance est apaisante, profiter de l’instant présent est sa priorité.
Un sauvetage d’envergure
Dans le café, c’est une autre histoire : la porte des toilettes ne s’ouvre plus, Eric est coincé à l’intérieur. Pas de fenêtre pour respirer ou s’échapper, le côté tantinet claustrophobe du bonhomme commence à se réveiller. Il imagine déjà les titres du journal local du lendemain : « un touriste coincé dans les toilettes d’un bar du boulevard Zogu meurt étouffé . Dommage, il n’a même pas eu le temps de boire son café » (qu’ils sont taquins ces Albanais).
Et puis, à force de tambouriner sur la porte, la gérante comprend enfin le problème. Quelques minutes encore et Passe-Partout arrive pour sauver le fort braillard. Une clé, une autre, encore une autre, il tapote, secoue la poignée puis la porte, les tentatives méticuleuses du début deviennent quelque peu anarchiques, et puis soudain… « clic » dit calmement la serrure martyrisée. La porte s’ouvre, miracle, Jésus est bien passé ici un jour.
Un pont ottoman
Un si beau vieux
Le litre de sueur épongé et les rires enfin apaisés, nous décidons de prendre un peu l’air avant de visiter la ville.
Au nord de Shkodër, se trouve un ancien pont ottoman nommé « Ura e Mesit » (« pont du milieu » en albanais).
Avec ses 108 mètres de longueur, c’est l’un des plus longs d’Albanie. L’un des plus touristiques aussi.
Parfaitement préservé, ses arches multiples qui bondissent sur l’eau sont particulièrement esthétiques (il en comporte 13, dont la plus haute est à 14 m de hauteur).
Hélas, ce magnifique ouvrage en pierre, vieux de deux siècles et demi, a été doublé il y a quelques années d’un nouveau pont sans charme à quelques mètres de distance. Passé et présent se côtoient désormais dans une dysharmonie plutôt brutale. Dommage.
Du Kir sans alcool
Tous les deux ont toutefois un point commun : ils surplombent la même rivière, le Kir.
Hop hop hop, on vous arrête tout de suite chers alcooliques anonymes, ce n’est pas encore là que vous trouverez de l’alcool à volonté gratuitement. Par contre, si piquer une tête dans l’eau turquoise vous tente, l’endroit est parfait. Aux heures chaudes il y a pas mal de monde, mais la rivière est large, il est facile de trouver un coin tranquille pour se baigner. Beaucoup de jeunes profitaient d’ailleurs de la fraîcheur de l’eau quand nous y étions (en Mai), heureux d’être ensemble et de goûter librement au plaisir de ce bain nature.
Et pour ceux qui préfèrent simplement le découvrir à pied, il peut être être parcouru dans son intégralité d’une rive à l’autre en surfant sur la houle de ses arches pavées.
Il n’y a pas de parking important spécifiquement aménagé, mais quelques places sont disponibles à son entrée Ouest.
Shkodër centre
Jour de marché
De retour à Shkodër, nous cherchons un parking à proximité du centre pour visiter la ville. Le stade « Loro Boriçi » s’y prête parfaitement. Entouré de nombreuses places aux dimensions variables, il offre plusieurs solutions gratuites aux camping-caristes (et aux autres) à 10 minutes à pied du centre ville.
Aujourd’hui, c’est jour de marché (mais c’est peut-être tous les jours en fait…), pour notre plus grand plaisir : quoi de mieux pour prendre la température d’une ville, découvrir son ambiance, ses couleurs, ses habitants ? S’étalant dans les rues secondaires, nous déambulons au milieu de ce ballet commerçant joyeux et vivant où vendeurs et clients papotent. Les vélos sont de la fête, débarquant de partout, se faufilant entre les voitures et les piétons, dansant sur le bitume avec adresse.
Plaisirs variés
En nous rapprochant des axes principaux, la circulation s’intensifie et les perspectives se dégagent. Près de nous ou plus loin, les mosquées et les églises catholiques et orthodoxes pointent leur minaret et leur clocher vers le ciel. Une diversité de religions qui cohabite ici sans difficulté, sereinement.
La ville est animée en ce matin ensoleillé, ça fourmille dans tous les sens. Mais l’agitation est sans heurt, fluide, chaque usager de l’espace public prête attention à l’autre.
Nous sommes place Parrucë, près d’un parc aux allées rectilignes occupé par une grande fontaine centrale.
C’est ici que démarre la grande rue piétonne « Rruga 13 Dhjetori » (rue du 13 décembre). Cette artère commerçante, agrémenté de quelques arbres ici et là et de bancs, traverse le centre sur presque 1 kilomètre. On y trouve de nombreux cafés et restaurants, des terrasses agréables, des boutiques en tout genre.
Des précurseurs de la photographie albanaise
Le long de cet axe animé, au numéro 32 de la « Rruga Kolë Idromeno », un musée est à ne pas manquer.
Photographes ou tout simplement curieux de nature, le musée Marubi tire son nom d’une grande famille de photographes albanais.
D’origine italienne, ce sont trois générations de photographes qui racontent l’histoire de l’Albanie et de son peuple en images. Des clichés souvent saisissants qui couvrent une période de 150 ans mise en scène de façon moderne et lumineuse. Des vidéos et des supports papier en albanais et en anglais retracent la vie de ces précurseurs de la photographie albanaise, complétés par une exposition du matériel utilisé.
Un prix d’entrée toutefois un peu élevé pour l’Albanie (7€).
Pour les autres (ou pour les mêmes), deux autres musées importants méritent une visite :
– Le « lieu de témoignage et de mémoire« , en souvenir des victimes de la dictature.
– Le « musée de l’histoire de Shköder« , présentant l’évolution de la ville depuis le Néolithique.
Allons au château
Pour y accéder
Au Sud de la ville, ne manquez surtout pas les ruines de Rozafa, l’ancien château de la ville (1,50€ l’entrée).
Perché à 133m à la confluence de la Buna, du Drin et du Kir, nous y sommes montés à pied depuis le camping où nous séjournions le temps d’une nuit.
Mais l’accès en voiture est aussi possible, un petit parking situé juste à l’entrée assurant le stationnement après deux ou trois lacets joliment pavés. Attention toutefois, la voie est étroite et seule une dizaine de places sont disponibles.
Une position stratégique
Une fois là-haut, c’est une superbe vue à 360° qui s’offre à vous. La ville de Shkodër au Nord, la plaine agricole à l’Est, la confluence des rivières au Sud avec la mer Adriatique en arrière-plan, et le lac Skadar à l’Ouest. De quoi tourner sur soi-même plusieurs fois et en avoir le vertige tellement le regard porte loin.
Une position dominante qui n’a évidemment pas laisser grand monde indifférent par le passé. Ottomans d’abord au 15e siècle, puis Serbes et Monténégrins au début du 20e s’y sont succédés.
Aujourd’hui, il reste trois cours formant de beaux plateaux enherbés enserrés par les murailles, une église transformée en mosquée, un musée et un café-restaurant (que nous n’avons pas pu tester, il fermait quand nous sommes arrivés).
Sacrifice maternel
Pas de passé de château sans légende ni anecdote spécifique. Et Rozafa ne déroge pas à la règle.
Son nom fait référence au prénom d’une jeune femme, épouse de l’un des trois bâtisseurs de l’édifice. Les murs qu’ils construisaient s’effondraient chaque nuit. En désespoir de cause et sur les conseils d’un vieil homme, ils sacrifièrent la femme de l’un d’eux en l’emmurant vivante pour que cette malédiction s’arrête. Rozafa accepta à condition que quatre ouvertures soient laissées dans le mur pour lui permettre de passer un oeil, un bras, un pied et un sein et continuer à allaiter son enfant.
On dit que depuis ce jour, une tradition consiste à mouiller les seins des jeunes mères à l’eau qui coule le long des murs du château. Info ou intox, on se sait pas trop. En tout cas nous n’avons rien vu. Ce n’est pourtant pas faute pour Eric d’avoir cherché des seins nus près des murailles avec une ténacité surprenante…
Rencontres « shkodériennes »
Les albanais nous ont souvent touché et surpris pendant ces quelques jours passés parmi eux. A travers leur manière d’être et de vivre, toute l’âme d’un pays se devine. A Shkodër comme ailleurs.
Un laveur de voitures
A notre entrée dans la ville par exemple, nous avons croisé un laveur de voiture, comme il y en a tant sur le bord des routes. Ce sont souvent des stations artisanales, appelées « lavazh », construites dans un bout de jardin ou dans la cour d’un local. Une dalle en béton, un tuyau d’eau, et c’est parti pour un lavage à l’huile de coude efficace et à prix imbattable.
Pourquoi toutes ces stations de lavage ?
D’abord, parce que la voiture est un symbole de liberté retrouvée pour les albanais. La dictature d’Enver Hoxha refusant aux citoyens de posséder un véhicule (et même des lunettes de soleil !!), sa chute en 1991 les libéra (entre autre) de cette interdiction. La voiture est donc un objet important et choyé.
D’autre part, parce que l’Albanie est un pays pauvre et que tous les moyens sont bons pour gagner un peu d’argent. Notre fourgon avait déjà roulé plusieurs milliers de kilomètres, le laver avait un double intérêt : lui refaire une petite beauté et aider modestement un albanais.
Nous avons échangé ainsi avec un père et ses deux jeunes fils, laveurs de voiture en famille. Le père ne parlait pas anglais, juste un peu italien et allemand, mais c’est avec plaisir qu’il a essayé de nous évoquer sa vie, ses enfants, ses envies. L’échange n’a pas toujours été simple, mais nous avons compris l’essentiel.
Un berger
Sur le pont neuf de Mesit, nous avons aussi croisé un jeune berger avec ses moutons. Il marchait lentement, pris dans ses pensées, le regard triste. Comme déjà fatigué par la vie. Une autre réalité de l’Albanie s’exprimait à travers lui. Celle de cette jeunesse des campagnes qui n’a souvent qu’une envie : partir à Tirana tenter sa chance ou même s’expatrier à l’étranger. Les jeunes enfants ne s’y trompent pas : ils parlent anglais de plus en plus tôt. Mais beaucoup, comme certainement ce jeune berger, n’ont pas encore les moyens de le faire et ne l’auront parfois jamais.
Des grands-pères
Enfin, dans le joli parc communautaire de la rue Vaso Kadia, nous sommes tombés sur une scène que nous espérions voir et photographier depuis notre entrée dans le pays. Des papis encore bien alertes jouaient aux dominos, aux cartes ou au backgammon à l’ombre des arbres. Une vingtaine de tables étaient disposées là, réunissant 4 joueurs ou plus.
Appareils photos à la main, nous nous sommes promenés parmi eux. Certains nous ont souri, parfois gentiment, parfois malicieusement, d’autres au contraire sont restés concentrés sur leur jeu. Mais tous offraient un même spectacle réjouissant, plein de sérénité et de bonheur simple. Comme si la violence du passé qu’ils ont vécu rendait ces moments de vie et de paix encore plus importants à leurs yeux, plus intenses. Une belle leçon.
Informations pratiques
- Côté sommeil, nous avons dormi au camping Legjenda, essentiellement destiné aux camping-cars, caravanes et fourgons. Situé aux pieds de la forteresse qui le domine, le rapport qualité/prix est correct (22.50 euros pour une place avec électricité et eau sur chaque emplacement). L’ensemble est propre, bien agencé, avec de nombreuses douches et toilettes. Il y a même un joli bar en bois, un petit parc avec des hamacs, un kiosque, une piscine… de quoi satisfaire toutes les envies.
- Côté repas, nous avons testé un restaurant italien dans le centre de Shkodër, au nom particulièrement original : Pizzeria Italia
Ambiance tamisée et romantique, bonne cuisine et addition douce (10 euros par personne). - Côté argent, Shkodër étant proche du Monténégro (monnaie européenne), il est tout à fait possible de payer en euros. D’ailleurs, les menus des restaurants présentent les tarifs dans les deux monnaies (Leks et euros).
Par contre, on ne peut payer qu’en Leks dans tout le reste de l’Albanie.
Et au Monténégro, à peine la frontière passée, seul l’euro est accepté. Les Leks, ils ne veulent pas en entendre parler. - Côté déplacement, vous croiserez de nombreux transporteurs (taxis et bus) vous proposant de vous emmener au Monténégro voisin. Ca marche aussi dans l’autre sens, Shkodër étant une ville qui attire beaucoup de voyageurs venant du Monténégro.
(Cette visite de la ville de Shkodër s’est faite en mai 2022)
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