Le village de Prokosko


Il y a les perles de nacre autour du cou, celles de rosée au petit matin,
ou encore celles des écoliers dans les cahiers. Et puis parfois, on trouve aussi
des perles de montagne. Le village de Prokosko en est une.


Troupeau de moutons dans un paysage de montagne

Un village d’antan

Dans nos pays riches, les villages coupés de tout n’existent plus depuis longtemps. Vous savez, ces villages que la modernité n’a pas encore dénaturé, où l’électricité est absente ou rare (merci Dieu soleil), où l’eau potable va se chercher aux sources. Dans ces lieux reculés, la nature s’impose aux hommes et non l’inverse.
De tels villages émerveillent et questionnent en même temps. Parce qu’ils sont différents, atypiques, ils ont un parfum d’ailleurs, ils vivent dans un temps différent du notre. La vie semble si simple ici…

Venez donc marcher un peu avec nous en Bosnie au milieu du village de Prokosko, en pleine montagne. Dépaysement assuré…

Pour vivre heureux, vivons cachés

Situé à 80 kilomètres de la capitale Sarajevo, caché entre les sommets du massif Vranica culminant à 2000m d’altitude, Prokosko se mérite. Pour avoir le bonheur de le visiter, il faut en effet accepter d’être un peu secoué. Seules deux pistes cabossées et montantes permettent d’accéder au village.
La plus utilisée arrive par l’Est, du village de Fojnica à 40 kms. La seconde arrive par l’Ouest, du village de Gornji Vakuf-Uskoplje (GVU pour les intimes) à 30 kms.

Plan des accès au village de Prokosko en Bosnie

Dans les deux cas, après un peu de macadam reposant, 15 kilomètres de cailloux sinueux vous attendent en pleine forêt. Et on vous annonce la couleur tout de suite : le trajet va vous paraitre in-ter-mi-na-ble. C’est bien simple, pour parcourir nos 15 petits kilomètres de piste avec notre fourgon, nous avons mis plus de 40 minutes ! Un temps record à rendre jaloux un périph de grande ville à l’heure de pointe. Le plus « drôle », c’est que nous n’avons pas rencontré le moindre véhicule pour réaliser un tel exploit.

Un conseil quand même : les deux pistes sont étroites, surtout côté Ouest. Si pour les petits gabarits ça ne pose pas trop de problème (on arrive toujours à trouver un recoin pour se croiser), c’est une autre histoire pour les autres. Donc amis camping-caristes, attention ! Ne montez là-haut que si votre véhicule est court (6m-7m max) et évitez l’accès par l’Ouest. De ce côté là, c’est 40 minutes de sueur dans un couloir de 3 mètres de large au milieu des arbres. Si un véhicule arrive en face, les possibilités de croisement sont quasiment nulles.

Ceci dit, reconnaissons une qualité de taille à cet accès plutôt difficile : si l’on cherche à préserver l’authenticité de ce village et éviter le tourisme de masse, on peut difficilement faire mieux.

Une identité marquée et assumée

Lorsque vous sortez enfin de la piste forestière, le visage ruisselant de sueur et les fesses en compote, un dernier virage se présente à l’approche du village. Et là, votre histoire d’amour avec Prokosko commence.

Panneau de bienvenue au bord d'une piste forestière en Bosnie
Vue d'ensemble du village de Prokosko en Bosnie au milieu des montagnes

Il est là au loin devant vous, beau et séducteur à souhait, et le charme opère immédiatement. L’oeil brillant, vous vous dites : « Cela a été une petite aventure pour venir jusqu’à toi, mais qu’est-ce que ça valait le coup ! ».
Depuis un promontoire rocheux, le pittoresque village accolé à son lac aux pieds des montagnes s’offre à vous. Des dizaines de cabanes de bergers (appelées « katuni ») s’étagent en douceur dans le vert des prés. De dimensions modestes (5 x 4m en moyenne) elles sont toutes fabriquées à l’identique : quatre murs, un toit à double pente et du bois en guise de matériau. Une cohérence qui assure une harmonie parfaite à ce petit paradis préservé.

Maison et son jardin dans le village de Prokosko en Bosnie
Maison et son jardin sur les hauteurs du village de Prokosko en Bosnie

En osmose avec la nature

Si le village est un vrai bijou dans son écrin de collines et de montagnes, c’est aussi grâce à son lac glaciaire. Plus haut lac du pays (1636m), cet « oeil de la montagne » comme on le surnomme ici est considéré comme le plus beau du pays. Posé près des maisons sur un plateau herbeux, la grâce et la sérénité qu’il dégage est saisissante.

En marchant dans le village, vous croiserez ici et là des vaches qui broutent tranquillement entre les chalets. Aux alentours, des troupeaux de moutons paissent sur les collines sous le regard d’un berger attentif ou assoupi.

Des vaches broutent dans le village de Prokosko en Bosnie
Chalet dans un pâturage de montagne
Troupeau de moutons et chalet dans un pâturage en montagne

Le hameau vit en autarcie dans un lieu privilégié habité par des espèces rares comme la salamandre aveugle ou le triton alpestre (espèce endémique). Protégé par l’état depuis 1954, Prokosko a été déclaré monument naturel en 2005.

Et pourtant, malgré ça…

Le revers de la médaille

Tourisme quand tu nous tiens

La Bosnie est un pays pauvre. Dans ces milieux ruraux isolés où l’élevage est la principale source de revenus, les temps sont durs. Les bosniens ont bien du mal à gagner leur vie, les prix augmentent, notamment celui de l’essence, et les clients de la vallée se font rares depuis quelques années à Prokosko.
Alors il reste le tourisme, qui lui se porte bien. Et malgré les interdictions, les maisons de bois poussent comme des champignons au village.

Vue d'ensemble du lac et du village de Prokosko en Bosnie
Vue aérienne verticale d'un quartier du village de Prokosko en Bosnie

Pourquoi ? Pour servir de refuges aux randonneurs et surtout de locations aux visiteurs étrangers avides de calme et d’isolement. Des plateformes de réservation en ligne comme Booking ou Airbnb en proposent des dizaines. Et pour agrémenter l’espace, des tables de pique-nique, des bancs, des ponts en bois ont été installé autour du lac. Un petit parking aménagé pour les visiteurs complète l’ensemble.
Quelques chalets se sont aussi reconvertis dans la vente de plats locaux et de boissons, à consommer sur place ou à emporter.

Reflet du village de Prokosko dans son lac en Bosnie

Une disparition annoncée

Cette pauvreté et ce flux touristique qui s’accentuent ont un impact direct sur l’environnement.

Dans les années 80 déjà, pour répondre à des besoins de nourriture croissants et plus diversifiés, des truites ont été introduites dans le lac. Prédatrices du triton alpestre de Bosnie, elles l’ont fait disparaitre des eaux du lac.
Heureusement, des scientifiques ont découvert en 2021 quelques spécimens encore vivants dans des mares alentour. Tout n’est donc pas encore perdu.

Puis, le vent du tourisme vert et dépaysant a soufflé, de nouvelles maisons ont été construites un peu partout pour les accueillir. Les quelques cabanes de bergers autour desquelles pâturaient autrefois des milliers de vaches et de moutons ont vu leur nombre grossir. On en compte des centaines aujourd’hui. Elles ont été édifiées sans autorisations sur des terrains qui n’ont pas vraiment de propriétaires attitrés. Mais les autorités locales ou d’état laissent faire.
Pour répondre à ces nouvelles conditions de vie du village, les chemins d’accès ont été élargis ou créés, et l’usage de l’eau a évolué.
Les tuyaux individuels desservant les nouvelles locations depuis les sources se sont multipliés, et les eaux usées générées sont rejetées dans le lac. Conséquences : les premiers captent l’eau qui alimente le lac et l’assèchent peu à peu. Les secondes polluent directement les eaux superficielles du lac et des rivières.

Entre préservation de l’environnement, structures inadaptées, tourisme en développement et pauvreté locale, la solution n’est pas facile à trouver.

Une anecdote en guise d’illustration

Lorsque nous sommes arrivés sur place, nous avons garés le fourgon au parking qui précède l’entrée au village.
Là, à côté d’un grand portique en bois aux faux airs de ranch américain, une cabane attend le visiteur. C’est le péage local. Nous étions prévenus, plusieurs blogs évoquent en effet cette « taxe » d’entrée à Prokosko.

Portique d'entrée du village de Prokosko en Bosnie

Nous nous approchons à pied, un jeune homme au visage fermé et au regard dur sort de la cabane. Il parle un peu anglais, les salutations sont brèves, l’essentiel du sujet arrive rapidement : « l’entrée c’est 2 marks par personne (soit 1 euro environ) et pour dormir dans le fourgon sur le parking c’est 5 marks (2.50 euros) ».
A l’intérieur, 4 autres hommes attablés devant une bière nous observent sans sourire, l’air méfiant. On se croirait dans un film de John Wayne ou de Clint Eastwood, les chapeaux et les revolvers en moins. L’accueil est pour le moins distant, évitons la dernière blague du jour, pas sûr que ça fonctionne beaucoup.

Y a t’il une obligation légale à payer ce droit d’entrée ? Non, probablement pas. C’est une façon pour quelques habitants du village de gagner un peu d’argent grâce aux touristes de passage.
Le salaire moyen en Bosnie est 4 moins élevé qu’en France et l’essence y est pourtant tout aussi chère. Chacun ici fait ce qu’il peut pour s’en sortir, payer quelques euros pour aider quelques habitants et avoir le droit de visiter leur village nous parait légitime.

Une distance à respecter

En marchant plus loin dans le village, nous avons croisé ici et là d’autres locaux, tout aussi méfiants et fermés.

Eglise du village de Prokosko en Bosnie
Rue du village de Prokosko en Bosnie
Habitant dans une rue du village de Prokosko en Bosnie

Le touriste est accepté parce qu’il est devenu nécessaire pour beaucoup. Mais par la force des choses. Les habitants ne ressentent aucune obligation à sourire à celui qui lui renvoie sa pauvreté par sa simple présence. Et on les comprend.

Nous recherchions une occasion de sortir de notre zone de confort, de côtoyer d’autres façon de vivre, de croiser des gens différents. Prokosko nous l’a offert.

Un dernier mot ?

Il est difficile de décrire véritablement ce que la découverte du village de Prokosko provoque en nous. « Unique, enchanteur, étonnant » est un bon début, mais encore insuffisant.
Ce que l’on en retient surtout c’est l’apaisement intense qu’il génère. Tout semble concourir à cela ici : le calme du lieu, son isolement (c’était d’ailleurs dans le passé un repère pour hors-la-loi), l’absence de modernité trépidante, le son des clarines, la beauté du paysage, l’harmonie architecturale du village, la solidarité entre les habitants…

Est-ce que cet endroit magique résistera au tourisme de masse qui se profile et aux dégradations qui le gangrènent déjà ? Espérons que oui, si une volonté commune et pérenne existe, celle des habitants, des décideurs locaux et des visiteurs.


(Cette visite du village de Prokosko s’est faite en juin 2022)

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