🥾 Bivouac face au mont Aiguille


Partir à l’assaut des hauts plateaux du Vercors n’est pas une expérience tout à fait comme les autres.
Ici, on ne marche pas seulement au milieu de magnifiques paysages,
entre sommets majestueux, forteresses calcaires, forêts et lapiaz.
Non, ici on marche aussi sur les pas de l’histoire.
La grande, celle de la guerre, celle des maquisards, celle des héros.
Ici le passé vient se rappeler à notre mémoire, pas à pas,
et même si la nature sait l’embellir de tout son art,
il en reste toujours émouvant.

⏱ 2 jours | 🥾 17 km | 💪 Moyenne | 🏕 1 bivouac | 🏡 0 gîte ou refuge


Vue du mont Aiguille dans le Vercors en Isère

A deux pas du mont Aiguille


Lors d’un séjour dans le Vercors, peut-on se passer d’une randonnée du côté du mont Aiguille ? Ne pas grimper là-haut et s’approcher de ce lieu incontournable, ne serait-ce que du regard ? Ne pas marcher sur les pas de la résistance ? Ne pas bivouaquer sur les hauts plateaux et savourer l’omniprésente nature du parc naturel régional du Vercors ?
Vous, on ne sait pas, mais nous, non. Surtout quand tout nous y pousse, y compris la météo du jour qui s’annonçait idéale.


LE LIEU
FRANCE (Auvergne-Rhône-Alpes)
Département : Isère
Commune : Chichilianne
Départ : parking 400m après le hameau
de la Richardière
Coordonnées GPS : 44.82290 / 5.54531

LA RANDO
Type : boucle par étapes (2)
Distance totale : 16,7 km
Temps total : 6h00
Difficulté : moyenne
Dénivelées cumulées : +910m / -910m
Altitude maxi / mini : 1840m / 990m

Jour 1La Richardière > Chaumailloux
4 km | 2 h | +570 m / -10 m
1070m / 1630m

Jour 2Chaumailloux > La Richardière
11,5km | 4h | +340m / -900m
990m / 1840m


Jour 1 : La Richardière > Chaumailloux

Jour 1
Départ : La Richardière
Arrivée : Chaumailloux


L'ÉTAPE
Distance totale : 4km
Temps : 2h00
Difficulté : moyenne
Dénivelées cumulées : +570m / -10m
Altitude maxi : 1630m
Altitude mini : 1070m

Arrivée à Chichilianne

C’est donc avec entrain que nous préparons notre sac de randonnée ce 26 août. Nos affaires de bivouac et nos repas en autonomie soigneusement empaquetés, nous voilà partis en direction de Chichilianne, petit village tranquille reposant au pied de la longue forteresse calcaire du massif.

A peine arrivés sur place, nous profitons du « restaurant-refuge » au centre du bourg pour casser la croute avant de démarrer notre effort du jour. Un resto simple, dans sa cuisine comme dans son accueil. L’humour et la gentillesse des gérants de l’établissement est un vrai bonheur. La journée s’annonçant chaude, nous remplissons généreusement nos gourdes à leur bar (le Vercors et son sol karstique n’est pas un coin de France très généreux en eau), les remercions pour leur sympathie, et filons en direction du point de départ de cette boucle de deux jours dans le Trièves.

Le « parking » que nous avons choisi n’est pas d’un accès des plus aisé. La piste qui nous y conduit après le hameau de la Richardière est très irrégulière et encombrée de cailloux particulièrement agressifs. Avant d’arriver ici, nous hésitions même à nous arrêter plus loin encore, au dernier parking en fond de vallée. Il se situe juste avant l’attaque du Pas de l’Aiguille, porte d’entrée du secteur sur les plateaux d’altitude. Ces premiers 200 mètres de piste nous en dissuadent vite. Nous stationnerons donc sagement au premier parking rencontré.


Echauffement en douceur

Un dernier au revoir à notre véhicule que nous retrouverons le lendemain (il a connu bien plus longue attente) et nous débutons notre randonnée en suivant ce long chemin empierré illuminé de soleil.

Au programme pour ce premier jour, une montée d’environ deux heures et demi jusqu’au refuge des Chaumailloux près duquel nous avons prévu de bivouaquer. Nous voyons d’ailleurs au loin le passage entre les parois rocheuses que nous allons devoir emprunter pour accéder au plateau. Le couloir herbeux est étroit, mais il a le mérite d’exister.

Après deux kilomètres de piste légèrement montante, ondulant doucement dans un cadre boisé et ouvert magnifique, nous arrivons au second parking dit « des Fourchaux » (altitude : 1200m).


Sur les pas de l’histoire

Un monument en hommage aux maquisards posé dans un bout de pré attire l’attention. « Ici souffle la liberté » nous prévient-il avec poésie. L’histoire qu’il nous raconte ensuite l’est beaucoup moins.
Le Vercors a été un haut lieu de la résistance française pendant la seconde guerre mondiale. Et le chemin que nous allons emprunter s’en souvient encore, mais pas de la plus heureuse des façons.
Les « pas » du Vercors sur ce versant Est du massif sont peu nombreux (une douzaine), et constituent les seuls accès au plateau. En juillet 44, les allemands décident de mettre fin à ce fief de la résistance qui les nargue depuis trop longtemps. Ils s’infiltrent dans le massif par le pas des Chattons situé plus au Nord, et envahissent ensuite le plateau par l’intérieur. Vingt-trois courageux maquisards surveillent à ce moment-là l’accès au Pas de l’Aiguille depuis la vallée. Les unités allemandes, bien préparées et mieux armées, les délogent de là au bout de plus de trente heures de combat acharné. Plusieurs résistants y laissent leur vie, mais quelques-uns d’entre eux, réfugiés dans une grotte, s’en sortent par miracle. Ils s’enfuient dans la nuit sous le feu des tirs ennemis, dévalant la pente vers Chichilianne. Cette grotte se situe au-dessus du chemin, près du Pas de l’Aiguille.

Mémorial sur la résistance au pied du pas de l'Aiguille en Isère
Texte du mémorial sur la résistance au pied du pas de l'Aiguille en Isère

En découvrant ce monument à la mémoire de la résistance dans le Vercors et le long texte qui l’accompagne, une profonde émotion nous envahit. Nous prenons quelques minutes pour faire des photos et laisser nos pensées déambuler dans ce passé si prenant. Des textes sur la guerre et son aberration, entourés par la forêt et la montagne… Il y a là un côté surréaliste qui rend le moment d’autant plus poignant.


Montée au pas de l’Aiguille

Mais l’heure avance, il est temps maintenant d’aller voir ce « gros » morceau de la journée. Ce fameux Pas, cette fine échancrure de la montagne qui nous permet de lui rendre visite, de flirter à petits pas avec sa peau.

La montée se fait sous un soleil radieux, ça cogne dur aujourd’hui. Fort heureusement la forêt tapisse en grande partie cette partie du massif. Les arbres nous apportent leur ombre bienfaisante, c’est un vrai plaisir de marcher au milieu de cette verdure rafraichissante. La pente ne nous fait toutefois pas de cadeau, l’effort est sévère, mais nous nous plions à cet exercice avec humilité (nous nous le sommes imposé après tout), et grimpons en fin de compte sans trop de souffrance vers le plateau.

Après avoir passé une première grande croix métallique en sortie de forêt, une seconde marque peu de temps après l’arrivée au pas. Plantée sur un promontoire rocheux qui domine la vallée, la vue sur le mont Aiguille qui trône fièrement face à elle est superbe. Une vraie carte postale. Nous sommes à deux « pas » (= passage, col) de la majestueuse dent : celui de l’Aiguille que nous nous apprêtons à franchir, et celui de l’Aupet que nous apercevons au loin, à l’ouest du mont.

Randonneur au pas de l'Aiguille dans le Vercors en Isère

Un peu plus haut, un second monument commémoratif nous accueille vers 1600 mètres d’altitude.
Lui aussi est là pour témoigner du passé douloureux des lieux afin qu’aucune nouvelle génération ne l’oublie, et plus particulièrement pour rendre hommage aux huit maquisards tombés ici, sur « le champ d’honneur ». Il est encore plus impressionnant que le premier, impossible à rater. Placé à l’entrée du plateau, au beau milieu des verts pâturages, une grande croix en pierre enchâssée entre deux murs en escalier et surmontée du drapeau tricolore le matérialise.

Mémorial sur la résistance au dessus du pas de l'Aiguille en Isère

Un texte rappelle l’effroyable assaut des forces allemandes du 23 juillet 1944. Trente-six heures durant, la montagne a subi et a été témoin de la violence des hommes et de leur cruauté maladive.
Là encore, le décalage est immense entre cette barbarie que les mots relatent et les lieux que nous avons sous les yeux. Eux qui inspirent tant de paix, tant de beauté. On regarde autour de soi et on imagine les effroyables scènes qui se sont déroulées ici même il y a plusieurs décennies. Comme un drôle de cauchemar en plein jour.


Sur les hauts plateaux

Nous délaissons le mémorial afin de revenir vers un présent plus lumineux, et nous dirigeons vers le refuge.
Après avoir laissé sur notre droite le sentier qui mène à la grotte des maquisards toute proche (une centaine de mètres), nous atteignons une mare située au niveau de la bergerie de Chaumailloux, construction pouvant accueillir elle aussi des randonneurs.

Mare sur les hauts plateaux près du pas de l'Aiguille en Isère
Reflet dans une mare

Nous sommes, pour le moment, peu nombreux sur les lieux : plus haut, seules deux filles marchent le long d’un ruisseau qui coule joliment en musique. L’endroit est charmant et apaisant. Nous ne regrettons pas notre montée jusqu’ici, ça vaut vraiment le coup.
Au loin, un troupeau de vaches pâture paisiblement tandis que sur l’autre versant, quelques chevaux broutent librement. L’espace est vaste, fait d’un plateau largement ouvert entouré de montagnes, et de la fameuse « dent » du mont Aiguille qui a poussé un peu plus loin. On ressent un vrai sentiment de liberté dans ces lieux isolés.

Hauts plateaux près du mont Aiguille dans le Vercors en Isère


La cabane de Chaumailloux et ses alentours

Nous entrons dans la cabane refuge, plus par curiosité que pour autre chose, puisque nous n’y dormirons pas ce soir. Hexagonale et toute en bois, son look extérieur est plutôt « moderne ». A l’intérieur, c’est rudimentaire mais propre dans l’ensemble. Un poêle à bois (pas de stock mais il y a des arbres aux alentours), deux bat-flancs, une grande table, une scie et de quoi nettoyer… L’essentiel est là.

Cabane de Chaumailloux au dessus du pas de l'Aiguille en Isère
Intérieur de la cabane de Chaumailloux au dessus du pas de l'Aiguille en Isère
Intérieur côté fenêtre de la cabane de Chaumailloux au dessus du pas de l'Aiguille en Isère

L’espace dédié au bivouac se trouve juste derrière le refuge, non loin du ruisseau. Une marmotte bien portante s’enfuit à notre approche et s’en va se réfugier sous un rocher. Son tour de taille est imposant, mais la bête n’est pas idiote, elle a choisi un trou au bon diamètre.
Le temps de poser nos sacs, de trouver où nous ravitailler en eau, de repérer quelques lieux photogéniques pour de futures images à réaliser, et plusieurs randonneurs arrivent. Certains sont équipés de tentes et deviendront donc nos voisins le temps d’une nuit, tandis que d’autres se dirigent vers le refuge.
Nous choisissons rapidement un emplacement pour installer notre chambre avec vue.  Il nous faut monter la tente sans trop tarder avant d’être envahi par le monde. Pour une fois que nous faisons partie des premiers arrivés, autant en profiter et bénéficier d’un bel endroit, ni trop près du ruisseau, ni trop près du refuge, avec un sol ni trop irrégulier ni trop pentu (c’est exigeant un randonneur, surtout quand il prend de l’âge).


Surprise en soirée

Le soir avance et nous préparons notre repas sans trainer. Juste de l’eau à faire chauffer et à verser dans un sac hermétique étanche, et voilà, le tour est joué. Il n’y a plus qu’à déguster après quelques minutes d’attente. La magie du lyophilisé ! Ce soir, ce sera pâtes à la carbonara. Un grand classique mais peu importe. Le spectacle que la nature nous offre en prime dans ces coins-là vaut bien un petit effort sur la nourriture.

Randonneurs au refuge de Chaumailloux près du pas de l'Aiguille dans le Vercors en Isère

Assis près du refuge sur quelques gros rondins faisant office de bancs de fortune, nous sommes bientôt rejoints par un couple. Très vite, nous échangeons… Ils sont amis, se connaissent depuis longtemps, marchent ensemble ici et là, et nous racontent certaines de leurs anecdotes de randonnée. Ils ont notamment fait l’expérience d’une marche un peu particulière, une marche silencieuse en groupe, sur plusieurs jours. L’objectif d’une telle activité est de parcourir un espace naturel libéré de toute préoccupation mentale et de tout bruit parasite inutile. On peut ainsi mieux appréhender la nature mais aussi mieux s’ouvrir à soi-même, mieux se recueillir, mieux méditer, et peut-être au final mieux se comprendre. Discussion intéressante, qui démontre si besoin est qu’on s’enrichit toujours à écouter les histoires des uns ou des autres.

Nous étions sur le point de nous séparer, quand un autre couple arrive et se dirige vers nous.
Equipés bizarrement de cônes routiers bicolores orange fluo et blanc, ils nous expliquent qu’ils font partie d’une association pour la protection de l’environnement. Et ce soir, un comptage de loups est prévu au programme. Nooooon !!!! Siiiiiiiiii !!
Pour ce faire, leur groupe composé d’une quinzaine de bénévoles au total est disséminé tout autour du mont Aiguille. Dans quelques heures, ils vont hurler pour « appeler » les loups, en espérant que ceux-ci leurs répondent. Et pour imiter le cri de l’animal, nos sympathiques défenseurs de l’environnement utilisent… des cônes routiers. C’est bon à savoir. Parce que si un jour sur l’autoroute vous croyez entendre des loups, ne vous inquiétez pas. C’est juste un petit homme en jaune qui s’amuse un peu au niveau d’une zone de travaux.
En fonction des réponses des loups, ils pourront déterminer le nombre de spécimens présent dans les parages. Et même le lieu où ils se trouvent et leur âge respectif. Et l’âge du capitaine aussi peut-être ? Nous n’avons pas osé poser la question.
Pour terminer, ils nous demandent de ne pas paniquer et de ne pas nous amuser à les imiter, cela fausserait évidemment leur comptage. Le risque est minime à mon avis, rares sont effectivement les randonneurs qui portent un cône routier dans leur sac. Les « loups hurleurs » se manifesteront vers 22 h, nous dit-on.
Nous nous amusons tous de cette drôle de soirée en perspective, espérant ne pas nous écrouler de sommeil avant que les montagnes chantent le loup.

En attendant ce grand moment, un autre chant tout aussi envoutant s’éveille sous nos yeux : celui du ciel. Le mont Aiguille poétise avec un rosé céleste délicieux. Tous les randonneurs présents profitent sans retenue de cet éphémère et magnifique cadeau de la nature, les yeux émerveillés, le sourire aux lèvres. Un parfum de bonheur simple et pur flotte dans l’air.

Coucher de soleil près du pas de l'Aiguille dans le Vercors en Isère


Bivouac au milieu des loups

Des étoiles plein la tête, chacun s’en va ensuite retrouver son duvet, sous sa tente ou dans le refuge, impatient de vivre le rendez-vous pris avec les loups, si atypique, si surprenant. Tout redevient alors calme… ou presque.
Un couple arrive en effet tardivement dans le noir et plante sa tente à proximité de la nôtre, à la lueur des frontales. Ils rient discrètement, s’amusent de cet instant un peu particulier, et finissent par se coucher à leur tour. Pas pour longtemps. Arrive alors l’instant du loup.
Ça commence à hurler un peu dans tous les coins. Pour nous, pas de souci, on a été prévenu. On sait que ce ne sont pour le moment que les Laurent Gerra de l’environnement qui tentent d’imiter les « chiens chanteurs » du Vercors. Et ils sont plutôt bons. On s’y croirait vraiment, c’est assez impressionnant.
Mais pour nos nouveaux voisins de la nuit, c’est une autre histoire. Eux ne sont au courant de rien. Bien sûr on ne les voit pas, chacun restant sagement dans sa tente. Mais on s’amuse à imaginer un début d’affolement dans leur petite maison de toile : deux corps pétrifiés de peur, blottis l’un contre l’autre, murmurant d’une voix agonisante au fond de leur duvet des « maman, je vais mourir » ou « papa, sauve-moi »… Nous commençons presque à y croire, quand, entre deux hurlements de « loups », leurs voix parviennent jusqu’à nous.  Et là on les entend… rire !! Un blanc d’une fraction de seconde s’ensuit, le temps que notre surprise passe, puis on se met à rire de bon cœur à notre tour.
Notre imagination un peu taquine et débridée nous a fait une petite farce à sa façon. Rien de grave, bien au contraire, juste un instant de joie volé à l’éternité.


Le calme revenu

La montagne ayant retrouvé son silence de cathédrale au bout d’une petite heure, nous nous endormons dans une ambiance enfin paisible, sous le regard lumineux de la lune.

Tente près du refuge de Chaumailloux au pas de l'Aiguille dans le Vercors en Isère

Puis, en plein milieu de la nuit, un étrange bruit nous réveille. Un bruit que nous n’arrivons ni à décrire, ni à comprendre.
Comme quelque chose qui frotte ou qu’on secoue. Il semble être proche, à quelques dizaines de mètres de la tente. Nous repensons aux chevaux vus dans l’après-midi, et imaginons que l’un d’eux est là. On se rendort rapidement, sans plus s’inquiéter. Mais quelques temps plus tard, des sons bizarres se font à nouveau entendre, et cette fois-ci juste à côté de nous. Si près qu’ils nous réveillent tous les deux. Nous parlons à voix basse dans le noir, hésitants. Mais curieusement, nos chuchotements semblent avoir l’étrange pouvoir d’arrêter ce bruit mystérieux. Magique. Nous restons calmes, écoutons le silence encore quelques instants (exercice difficile, il faut une bonne ouïe pour ça), et fatigués par tant de « vacarme », décidons de nous rendormir.


Jour 2 : Chaumailloux > La Richardière

Jour 2
Départ : Chaumailloux
Arrivée : La Richardière


L'ÉTAPE
Distance totale : 12,7km
Temps : 4h00
Difficulté : moyenne
Dénivelées cumulées : +340m / -900m
Altitude maxi : 1840m
Altitude mini : 990m


La clé du mystère

Le matin, au réveil, c’est la surprise : l’un de nos sacs a été tiré en dehors de l’abside et repose un peu plus loin dans l’herbe, intact. A proximité, près de la tente de deux autres randonneurs, nous découvrons que leurs sacs ont subi le même sort. Mais les leurs ont en plus été « visité ». Le matériel qui était rangé à l’intérieur est en effet éparpillé un peu partout autour du refuge.
Le couple d’amis rencontré la veille s’approche. Il nous explique que pendant la nuit un magnifique renard est venu leur rendre visite. Pas du tout apeuré et cherchant visiblement à manger, il est entré dans le refuge puis est allé se servir dans les sacs posés au sol. Voilà donc le gentil coupable.
Nous n’en revenons pas de la force qu’il a dû déployer pour tirer le nôtre hors de la tente. Il est pourtant assez lourd ce sac, et l’espace sous l’abside n’est pas bien grand pour le faire passer. Mais quand on a faim…
Les deux jeunes randonneurs sortent alors de leur tente, l’air abasourdi. Les cheveux ébouriffés, les yeux gonflés de sommeil, ils découvrent hagards leurs affaires disséminées un peu partout. Le renard a apparemment trouvé chez eux des barres de céréales, a déchiré les poches où elles se trouvaient, et est reparti avec, rassasié.
Nous apprendrons par la suite que l’animal est connu dans la vallée. Une ancienne blessure à une patte le limite dans ses capacités à chasser, et il compte donc sur les naïfs randonneurs de passage que nous sommes pour trouver de la nourriture. Bravo Maître renard, et merci pour le spectacle.


Entre contemplation et agitation

Nous partons ensuite faire quelques photos au lever du soleil, et croisons le couple associatif de la soirée. Ils nous apprennent que la tentative de comptage de la nuit a démontré que les loups, repérés il y a quelques semaines dans les parages, ont quitté les lieux. Les cônes ont rendu leur verdict, aucune réponse n’a été donné à leurs appels. Nous les remercions toutefois pour ce moment pour le moins original qu’ils nous ont offert sans le vouloir. C’était vraiment chouette.

Lever de soleil au pas de l'Aiguille dans le Vercors en Isère
Lumière du matin au pas de l'Aiguille dans le Vercors en Isère

Après notre séance photos (la vallée par laquelle nous étions arrivés la veille était éclairée d’une lumière magnifique ce matin-là), nous revenons à notre tente avec l’intention de la faire rapidement disparaître du paysage. Nous sommes ici dans un secteur protégé, limiter la pollution visuelle est une règle.
Lorsque soudain, un bruit nous attire encore derrière un petit mont. Décidément, que de mouvements dans ce coin du Vercors !
Très vite cette fois-ci, nous comprenons son origine : un énorme troupeau de moutons dévale la pente et passe en courant devant nous, contournant à peine le refuge et les tentes encore plantées là.

Une petite vidéo pour vous mettre dans l’ambiance

La bergère arrive derrière, le pas tranquille, joviale, accompagnée de ses chiens. Nous sourions de cette nouvelle surprise et attendons que ce troupeau de plusieurs centaines de bêtes se soit calmé pour faire quelques photos.

Troupeau de moutons près du refuge de Chaumailloux dans le Vercors en Isère

Un dernier regard sur ces lieux que nous n’oublierons pas et nous démarrons le chemin de la journée, presque bons derniers. Il ne reste là que les deux jeunes « cambriolés » par le renard et le couple arrivé tardivement dans la nuit. Et pendant que les premiers s’affairent encore à rassembler leur matériel, les seconds, porte de la tente ouverte, allongés face au paysage, s’amusent eux aussi de l’arrivée aussi massive qu’inattendue de ce troupeau, et profitent du moment. Un de ces petits instants simples de contemplation qui sont autant de grands bonheurs.


Montée au pas de la Chèvrerie

Nous les quittons en traversant le ruisseau, et entamons notre ascension vers le pas de la Chèvrerie, en observant tous ces moutons qui ne deviennent bientôt plus que de petites boules de coton au fur et à mesure que nous grimpons.
La matinée est lumineuse, nous avançons tranquillement sous un beau soleil, lorsque nous croisons dans la montée un nouveau troupeau dans une clairière. Cette fois-ci ce sont de magnifiques chevaux noirs qui viennent à notre rencontre. Chevaux, moutons, renards, vaches, marmottes, oiseaux… La faune est bien présente ici, et pour notre plus grand plaisir. Quel bonheur de marcher dans ce paysage si pur et si vivant ! Nous nous sentons bien, remplis de cette liberté et cette nature que la montagne sait si admirablement offrir.
Nous avançons tout en faisant quelques rapides pauses photos de temps à autre, afin de garder des traces de ces instants privilégiés. En prenant de la hauteur, la vue se dégage sur les hauts plateaux au-delà du Mont Aiguille, et le seigneur des lieux apparaît. Avec ses 2341m d’altitude, le Grand Vermont est le point culminant du massif du Vercors. Accessible à tout randonneur un minimum entrainé, l’accès le plus rapide (mais aussi le plus difficile) se fait depuis le village de Gresse-en-Vercors. Il faut compter 6h de marche aller-retour pour 13 km environ, mais il faut surtout monter et descendre 1100m de dénivelé ! Mais qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour une vue imprenable à 360°…

Vue des hauts plateaux et du mont Aiguille dans le Vercors en Isère

Après le passage du pas de la Chèvrerie (1800m environ), la forêt de conifères qui nous accompagnait jusque-là nous abandonne peu à peu.


On passe le grand plateau avant la descente

Arrivés sur le plateau de Chamusset, le paysage change radicalement. Nous entrons désormais dans le territoire des prairies d’altitude désertées et des lapiaz. Des reliefs karstiques aux formes variées émergent ici et là.
A l’approche de la bergerie de Chamusset, nous apercevons devant nous notre couple d’amis de la veille. Partis un peu plus tôt, ils marchent lentement (peut-être même en silence ?!), à l’écoute profonde de la nature et d’eux-mêmes.

Randonneurs à la bergerie de Chamusset dans le Vercors en Isère

En changeant de versant, nous avons perdu de vue les sommets emblématiques du secteur, mais de nouveaux paysages tout aussi magnifiques s’offrent maintenant au regard, se dessinant au loin dans la brume bleutée des horizons lointains (il fallait bien placer une petite note lyrique quelque part).

Brume sur les hauts plateaux du Vercors vers le pas de l'Essaure en Isère

La traversée du plateau se fait sans difficulté, la pente étant légèrement descendante jusqu’à la cabane de l’Essaure (1653m). Seul le balisage fait un peu défaut. Il n’est pas toujours évident de suivre ou de trouver le bon chemin dans cette vaste étendue ouverte, où seuls quelques cairns nous aident à nous orienter.
Nous apprendrons par la suite qu’il semblerait que cette absence de marquage soit une volonté de la région qui cherche à limiter la venue des touristes pour préserver la nature. Enfin… c’est un bruit qui court. Et nos jambes un peu fatiguées n’allaient pas assez vite pour pouvoir l’interroger sur ce délicat sujet.


Petit moment d’égarement

Arrivés à la cabane de l’Essaure, n’ayant pas de carte papier ou numérique sur nous (ouuhh, les amateurs !!!) et en l’absence de tout réseau, nous hésitons sur l’itinéraire à prendre à un carrefour de chemins. Une belle piste nous invite à descendre plutôt vers le sud-est.
Nous la suivons un instant, jusqu’à ce que nous rencontrions un couple d’un certain âge, aux allures de montagnards. Nous les interrogeons pour essayer de savoir si nous sommes dans la bonne direction, mais ils sont comme nous, ils découvrent l’endroit pour la première fois. Par contre, monsieur semble effectivement bien connaitre la montagne et n’a rien perdu de son acuité visuelle. Il nous invite à remarquer un vol de rapaces qui tournent en rond au loin, devant un pan rocheux de la montagne :
– « Vous avez vu le bouquetin au sol ? »
– « Un bouquetin ?! Où ça ? »
– « Vous voyez les deux petits sapins isolés dans la pente ? Il est près de celui le plus à droite. On distingue une tâche marron. »
Nous mettons alors nos deux paires d’yeux en mode « zoom avancé », scrutant du plus profond de nos pupilles la zone en question.
– « Ah oui ! Vu. C’est l’heure de passer à table pour eux. »
– « Oui. Le bouquetin a dû chuter il n’y a pas très longtemps. Ils s’apprêtent à manger son cadavre »
– « Ainsi va la vie… »
– « Le vautour, c’est le nettoyeur de nos montagnes. Sans lui ces carcasses pourriraient et des maladies pourraient se disséminer. On le chassait sans pitié il y a quelques décennies encore, maintenant c’est l’inverse, on cherche à le réintroduire. Un juste retour des choses. Il participe à l’équilibre de la nature. »
Nous acquiesçons sans retenue, conscients, ô combien, de l’importance de préserver cette nature, si indispensable à l’homme et à sa survie.


Arrivée des secours en montagne

Après avoir salué nos interlocuteurs, nous repartons… en sens inverse. Allez savoir pourquoi, mais cette intéressante discussion nous fait changer d’avis. Cette piste descendante qui conduit vers un parking assez proche (2 km) nous inspire guère.
Nous revenons donc à la cabane et tournons un petit moment autour d’elle, le temps de boire un peu à l’ombre de son toit. Arrive alors notre couple de marcheurs silencieux qui avait pris des chemins de traverse. Nous les poussons à prendre la parole pour nous aider un peu. Une interruption de leur réflexion intérieure qui ne semble pas trop les perturber, au contraire. C’est même avec entrain et volonté que monsieur sort de son sac une vieille carte IGN à moitié déchirée pour nous venir en aide. Les informations qu’elle contient ne sont pas de la première jeunesse (ça tombe bien, nous non plus), mais elles nous suffisent pour comprendre que le bon chemin est juste là, au pied de la cabane, se dirigeant plein nord vers le pas de l’Essaure. Merci les amis, vous êtes nos sauveurs.


Descente vers Chichilianne

L’accès au Pas de l’Essaure (1660m environ) se fait rapidement sur un terrain relativement plat et encore dégagé. A partir de là, après avoir passé sur quelques mètres un pierrier pentu dans lequel zigzague le chemin, la descente vers Chichilianne se poursuit dans une ambiance forestière retrouvée, jusqu’à l’arrivée dans la vallée où les prés et les petites routes réapparaissent. C’est avec elles que nous atteindrons le village, puis terminerons cette randonnée, après plus de 3 km de marche sur le bitume.

Les derniers mètres qui nous ramènent au parking du départ se font sur les cailloux de la piste, sous la chaleur, comme nous avions commencé la journée d’hier.
La boucle est bouclée, nous sommes fatigués, mais contents de ces deux jours de marche. Le bivouac sur les hauts plateaux restera un grand souvenir. N’hésitez pas à y goûter si vous passez dans le coin.


INFORMATIONS PRATIQUES


VENIR EN SAC A DOS :
1) Train ligne Grenoble / Veynes / Gap, ou bus depuis Grenoble jusqu’à Clelles (6 km de Chichilianne).
2) Taxi ensuite de la gare SNCF de Clelles jusqu’à Chichilianne, soit par transport à la demande (réservation navette Conseil Général 48h avant le départ, par tél, au 09 69 32 21 41 – coût : 2,50 €/personne ), soit par taxi classique (voir auprès de la gare de Clelles les modalités de réservation)
… ou à pied pour les plus vaillants.


HÉBERGEMENT / RESTAURATION :

1) Etape 1 : Chichilianne (La Richardière) – Chaumailloux
a) A Chichilianne :
Concernant le ravitaillement/restauration, vous trouverez au village de Chichilianne une boulangerie, « l’Ecopain » et un gîte/bar/restaurant, le gîte du Mont Aiguille / le Randonneur. La première propose des pains artisanaux variés de belle qualité, le second une cuisine simple et copieuse, servie avec bonne humeur.
En matière d’hébergement, le gîte dispose de 9 chambres de tailles diverses, proposées à la nuitée, soit de façon privatisée, soit en dortoir.
Pour un ravitaillement plus complet (épicerie, boucherie, fromagerie …), ou pour des offres de restauration ou d’hébergement complémentaires, c’est au village de Clelles qu’il faut s’arrêter.
Pour les campeurs, il y a un camping à la ferme sur la commune, « La ferme du pas de l’Aiguille », situé à proximité immédiate de la randonnée (350m environ), près du hameau de La Richardière. Une chambre de 6 places et trois roulottes peuvent aussi y être louées pour la nuit.
L’été, un marché s’installe les mardi matin devant l’église.
b) A Chaumailloux :
Pas de ravitaillement possible ici, mais deux solutions d’hébergement (autres que le bivouac) :
La bergerie de Chaumailloux, un bâtiment propriété de la commune de Chichilianne. Géré par l’association des Skieurs du Mont-Aiguille (SMA), il faut passer par elle pour pouvoir louer une ou plusieurs nuitées. Le principe de fonctionnement repose sur un parrainage à demander à un membre de l’association, et au versement d’une adhésion annuelle à cette même association. Une fiche de réservation avec toutes les coordonnées nécessaires est disponible sur son site.
Attention, eau à proximité mais pas de latrines.
La cabane-refuge de Chaumailloux. Fréquenté par de nombreux randonneurs, ce refuge non gardé de 19 places affiche souvent complet, et il n’est pas rare de devoir dormir à même le plancher en cas de nécessité. Pour l’eau, un ruisseau passe à quelques dizaines de mètres (il coule toujours, même en plein été), et plusieurs sources existent à proximité. La plus facile à trouver est celle de Chevalière, située au-dessus, à 200m environ vers l’Est, en bordure du sentier qui monte au plateau de Chamousset.

2) Etape 2 : ChaumaillouxChichilianne (La Richardière)
Cabane de l’Essaure :
En cours d’étape, en cas de nécessité, la cabane de l’Essaure permet de s’abriter ou de manger/dormir au sec. C’est un abri en pierres non gardé, constitué de deux petites pièces, avec couchage possible pour 6 personnes sur bas-flanc en bois. Equipement : un poêle, une table avec bancs, une scie, une pelle, un balai …
Attention : le bois est difficile à trouver à proximité. Pas de latrines. Plusieurs sources aux alentours, mais parfois intermittentes ou peu utilisables (semi-enterrées).
Possibilité en cas de difficulté de rejoindre depuis cette cabane le parking dit de « La fontaine des prêtres », en direction du sud-est, par une piste descendante de 2km environ.


STATIONNEMENT :
Plusieurs solutions de stationnement le long de cette boucle de randonnée :
a) au village de Chichilianne, place de l’église.
b) à la sortie du hameau de la Richardière, à la fin de la partie bitumée de la route, parking public devant le centre d’accueil de ski nordique.
c) 200 mètres environ plus loin, après avoir pris la piste vers Les Fourchaux, première zone de stationnement légèrement au-dessus de la piste, au niveau d’un premier carrefour.
d) en bout de piste, 2,5km environ après le hameau de la Richardière, parking au lieu-dit « Les Fourchaux »


DIVERS :
Nous avons fait le choix de réaliser cette boucle en deux jours, de façon à pouvoir bivouaquer sur les hauts plateaux.
Le temps total de marche de cet itinéraire étant toutefois très court (6h environ) il peut être envisagé sur une seule journée sans difficulté .



(Cette randonnée près du mont Aiguille s’est faite en août 2020)

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