Le monument Bouzloudja

Un peu de lassitude à la lecture de tous ces articles de blogs bien terrestres ?
Ne partez pas, on vous emmène dans l’espace vous changer les idées.
Bienvenue à bord de la Bouzloudja Airlines.

Voyage intergalactique

Nous hésitions un peu à aller voir le monument Bouzloudja (ou Buzludzha en Bulgare). Ce vestige bulgare à la gloire du communisme construit dans les années 70 à 1440m d’altitude n’était pas vraiment dans notre top 10.
Abandonnée depuis des années, cette énorme « soucoupe volante en béton » (surnom qui lui est donné) flanquée d’une tour de 70 m de hauteur semble être plus destinée aux amateurs d’urbex qu’aux amateurs de nature.

Mais puisque nous ne passions pas loin de là, nous nous sommes dit que cette curiosité bien connue des bulgares méritait tout de même un petit arrêt.
Et surprise, elle nous a bluffés !!

Stationnement à distance

Deux parkings permettent de s’approcher du géant de béton.
Le premier et le plus proche est situé à l’extrémité de la route d’accès au site, près du sommet (parking A sur la carte ci-dessous).
Le second est plus loin et plus bas (parking B), au bord de la petite route qui monte à l’assaut de la montagne depuis le village de Kran au sud et qui rejoint ensuite plus à l’ouest le col de Shipka (attention, cette portion de route entre le parking B et le col de Shipka est en très mauvais état !).
Histoire de marcher un peu par cette belle journée ensoleillée, nous choisissons de nous garer au second.

Un sentier permet de monter directement au sommet depuis là, et pour ceux qui voudraient varier les plaisirs, un autre assure la descente à travers bois par un autre itinéraire. Cette petite boucle est sans difficulté (3,5 kms / +150m / -150m) et passe à côté d’une très belle fontaine à plusieurs arrivées d’eau, présence salutaire les chaudes journées d’été.

Tout feu, tout flamme

A peine arrivés, ces lieux où nature et monuments grand format se mélangent impressionnent déjà.
Aux pieds du colosse qui domine au loin la montagne, se dresse une sculpture pleine de puissance représentant deux poings serrant des torches enflammées. Achevée en même temps que la soucoupe (1981), elle représente la passion (le feu) du mouvement de libération nationale et la transmission de la flamme socialiste d’une génération à l’autre.

Quelques chevaux débonnaires broutent autour des « flammes », indifférents à ce passé totalitaire et préférant manifestement les êtres humains qui se trouvent là. Ceux-là au moins, ils bougent, ils rient, ils caressent, bref, ils sont vivants.

Il fait bon, l’endroit est calme, le moment est délicieux, nous pourrions rester là longtemps encore, mais l’impatience nous gagne, il est temps d’aller rendre visite maintenant au seigneur du lieu : le monument Bouzloudja.

Aux portes du vaisseau

Une vingtaine de minutes plus tard et 130 mètres plus haut, nous voilà devant l’OVNI bulgare.

Là, devant le large escalier qui mène à la porte d’entrée soigneusement barricadée (l’intérieur du monument est interdit à la visite), on s’arrête un instant, bouche bée, et on admire.

Il y a dans ce monument quelque chose de fascinant, quelque chose qui vous prend les tripes, difficilement explicable.
Ses dimensions peut-être déjà : quand on est aux pieds de cette coupole de 60m de diamètre, on n’en mène pas large. Le monstre de béton et d’acier de 75000 tonnes, gangrené par les infiltrations d’eau et traversé par les vents, impressionne.

Mais ce qui fascine aussi probablement, c’est le décalage entre son allure futuriste et son état de ruine. Une espèce de retour vers le futur, L’objet ne ressemble pourtant en rien à une DeLorean de 1982 mais il en a un peu le pouvoir (Doc, si tu nous lis…).

Une restauration ciblée

La différence ici, c’est que le peuple bulgare ne souhaite surtout pas revenir dans le passé pour redonner vie à cet ouvrage dévasté par les pillages et le temps. Au contraire, son délabrement symbolise l’échec d’un régime totalitaire que peu de monde regrette. Son emblème, une étoile rouge que le gouvernement communiste avait demandé d’intégrer au projet à l’architecte Georgi Stoilov, trône encore en haut de la tour adossée au monument. Mais son éclat n’est plus ce qu’il était, le rouge rosit ou noircit, les années qui passent l’effacent.

Seuls les 1000m2 de mosaïques de la terrasse panoramique et ses 2 millions de pièces, véritables trésors artistiques nationaux, ont fait l’objet d’une restauration importante ces dernières années (quelques photos sont visibles dans cet article par exemple).
Sept années et 6000 travailleurs ont été nécessaires pour créer cette construction surréaliste, financée par le gouvernement et de nombreux donateurs. Elle a vécu à peine plus longtemps, 8 ans, jusqu’à la chute du communisme en 1989. Une oeuvre architecturale éphémère qui attire quand même 50000 visiteurs par an.

Un cadre magnifique

Deux voyageurs-photographes français (au moins) ont donc fait partie du lot de ces visiteurs en 2023. Et comme les autres, ils n’ont pu faire que le tour du bâtiment à défaut de pouvoir y entrer, profitant de vues splendides sur les montagnes environnantes. C’est déjà beaucoup.

Et ce n’est certainement pas un hasard si le sentier de grande randonnée E3 (une petite balade digestive de 6950 kms entre le Portugal et la mer Noire) passe par là. Quitte à marcher longtemps, autant en effet profiter de ce qui est le plus beau !

Les fantômes du soir

Nous avons d’ailleurs tellement aimé ce monument Bouzloudja et ses alentours que nous y sommes restés jusqu’au soir et avons dormi sur place, dans notre maison ambulante. Pour être au plus près du colosse, nous sommes montés nous garer au parking le plus proche de son entrée. Seuls à la nuit tombée, nous n’avions comme compagnie que sa silhouette sombre qui se découpait dans le ciel.

Mais un extraterrestre n’était pas loin non plus : le gardien des lieux.
Coincé dans une guérite de 4m2 avec lit, télé, wifi et wc à proximité, il vit à proximité de sa soucoupe jour et nuit. Il surveille son vaisseau, connaît par coeur tous ses suintements, ses grincements, ses claquements, ses cris les jours de tempêtes. Et quand le soleil se couche, seule son ombre rode autour du colosse, comme un fantôme en mal d’espace.
Bonne chance à ceux qui tenteraient de s’approcher d’eux les nuits sans lune ou les jours de brouillard.
Emotions fortes garanties. Brrr…

(Cette visite du monument Bouzloudja s’est faite en septembre 2023)